En racontant la vie et les aventures des dix-huit personnages qui se sont succédé au 29e fauteuil de l'Académie française depuis 1634, Amin Maalouf ne retrace pas seulement cette "généalogie en partie fictive" dont parlait son prédécesseur Lévi-Strauss ; il nous fait revivre de manière charnelle, incarnée, quatre siècles d’histoire de France.
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16 Mars 2016
Amin Maalouf : 4 académiciens à la loupe
Alors qu’Andreï Makine vient d’être élu à l’Académie française, Amin Maalouf publie Un Fauteuil sur la Seine (Grasset) où il dresse un panorama de quatre siècles d’histoire de France à travers le destin des illustres personnages qui l’ont précédé dans cette insitution au fauteuil 29. Voici quatre histoires drôles ou tristes des ces fantômes de la littérature.
1634 : Celui qui s’est noyé en voulant sauver son pupille
Même Amin Maalouf n’avait jamais entendu parler de Pierre Bardin avant de poser son derrière sur le même fauteuil que lui, alors n’ayez aucune honte si ce nom ne vous dit rien. Exerçant son art en plein dans le creux de la vague littéraire ayant suivi les Ronsard et autres Du Bellay et précédé Molière, Corneille, Racine et La Fontaine, le pauvre Bardin fut, on peut le dire, très vite oublié. Comble de malheur, il périt noyé dans la Seine à Charenton le 29 mai 1635 en secourant le marquis d’Humières dont il était le précepteur. C’est suite à ce premier décès d’un membre de l’Académie française que les Immortels durent réfléchir à la manière d’honorer la mémoire du défunt. Après quelques essais d’épitaphes en prose et en vers pas franchement du meilleur goût, c’est à ce moment que l’on convint de faire prononcer leur éloge par leur successeur.
1743 : Celui qui est passé devant Voltaire
Avant la Révolution française, paysage intellectuel et paysage religieux se confondaient encore. Il était donc de meilleur ton d’élire des cardinaux plutôt que les subversifs philosophes des Lumières. Le grand Voltaire a lui-même fait les frais de cette politique en se voyant passer sous le nez le fauteuil 29 au profit de Paul d’Albert de Luynes (pas encore crée cardinal à l'époque), lequel mourra en 1788 juste avant l’effondrement de la monarchie. Rassurons-nous : après deux échecs, Voltaire pourra quand même s’asseoir parmi l’assemblée des Immortels en 1746. L’histoire se répétera au même fauteuil un siècle plus tard quand Pierre Flourens est préféré à Victor Hugo lors de l’élection de 1840. Le pauvre Victor se présentait alors pour la… troisième fois.
1897 : Celui qui fut "l’homme le plus insulté de France"
En voilà un qui ne manque pas d’air : Gabriel Hanotaux, alors ministre des Affaires étrangères, semble avoir profité d’une séance de l’Académie organisée exceptionnellement à l’occasion de la venue du tsar Nicolas II pour tout simplement "forcer la porte". "Cela dit, le personnage avait indéniablement toutes les qualités requises", note Amin Maalouf. Historien talentueux, homme de savoir et homme d’action mais se traînant quelques casseroles en politiques dont une accusation de "duplicité déplorable" (dixit Jean Jaurès) dans l’affaire Dreyfus... Ainsi chassé des affaires de l’Etat, il se réfugia dans les livres et les documents d’archives. C’est lui-même qui dira dans ses vieilles années (il mourra à 91 ans en1944) : "J’ai été l’homme le plus insulté de France", en tirant sans doute quelque fierté.
1973 : Celui qui chérissait les cultures fragiles
Prédécesseur direct d’Amin Maalouf au fauteuil 29, le grand anthropologue Claude Lévi-Strauss ne manquait pas non plus d'humour. "Lors de sa réception sous la Coupole le 27 juin 1974, il consacrera les dix premières minutes de son discours à une comparaison soigneuse entre le cérémonial de l’Académie française et les rites d’initiation pratiqués par les populations amérindiennes de la côte pacifique du Canada", écrit Maalouf. Une manière de s'intégrer "provocatrice et plaisante" note encore son successeur, car sa mission était tout simplement d’étudier l’homme. Le vénérable auteur de Tristes Tropiques est à ce jour le doyen de tous les académiciens et mourra le 30 octobre 2009 peu avant son cent unième anniversaire. "De son point de vue, aucune culture ne mérite de disparaître – aucune communauté, aucun récit, aucune langue, aucun art. Ni sur les bords de l’Amazone, ni sur les bords de la Seine", termine Amin Maalouf.
N.S