Hachette.fr : Qui sont "Les Imposteurs" qui donnent leur titre à votre nouveau roman ?
John Grisham : Il s’agit de trois étudiants en dernière année de droit à Washington. Alors qu’ils s’apprêtent à passer leur diplôme, ils se rendent comptent, désabusés, qu’ils ont choisi une mauvaise école destinée à générer du profit par des investisseurs avides. Les coûts d’inscription y étant très élevés, ils ont contracté de lourds emprunts et se retrouvent avec environ 200 000 dollars de dette. Sans travail, sans perspective, ils sont très amers face à ce système qui les a piégés, dupés, égarés. Quand l’un de leurs amis se suicide, c’est la goutte d’eau, ils cherchent alors un moyen de se venger du système.
De quelle réalité vous êtes-vous inspiré pour écrire ce roman ?
Il faut savoir qu’aujourd’hui aux Etats-Unis, si vous voulez emprunter une telle somme pour étudier, c’est possible. Telle est la vérité derrière la fiction. J’ai lu il y a plusieurs années un article intitulé "La grande arnaque des écoles de droit" qui racontait cette histoire des écoles qui éreintaient les étudiants financièrement tout en leur faisant miroiter les meilleurs postes et un avenir brillant. Je suis toujours à la recherche d’une bonne histoire. Quand j’ai lu cet article, je me suis dit que j’en tenais une. Cette dette se compte en milliards de dollars dont la moitié sans doute est aujourd'hui en défaut de paiement. Il y a toute une génération de jeunes Américains qui se retrouve dans l’impossibilité de se marier, d’acheter un bien immobilier puisque tous leurs revenus sont consacrés au remboursement de leur emprunt. C’est un énorme problème.
L’une des protagonistes, Zola, est originaire du Sénégal. Quelle intrigue déroulez-vous autour d’elle ?
Avec ce personnage j’aborde la crise de l’immigration aux Etats-Unis. Toutes les mesures prises par l'administration Trump sont d'une injustice terrible comme les séparations de familles. Je voulais explorer cela avec Zola.
Est-ce la première fois que vous traitez ce sujet ?
Je crois oui…
C’était une sorte de nécessité aujourd’hui pour vous ?
Oui ! Dès le début de l’écriture, je savais que les trois personnages allaient devoir s’échapper. Je devais trouver un endroit où le gouvernement américain ne pourrait pas les traquer. Et dans de nombreux pays africains, il existe des traités de non extradition. J’ai lu des choses sur le Sénégal et ça m’a plu. C’est là que Zola est arrivée. Je savais que ses parents allaient être expulsés, que la famille allait être séparée. C’est pour explorer cette injustice que j’ai créé ce personnage.
Vous aussi avez fait des études de droit avant de devenir avocat puis écrivain. Quel jeune homme étiez-vous à l’âge de vos personnages ?
J’aime bien qui j’étais à cette époque, je n’ai pas de regrets. À l’école de droit, entre 23 et 25 ans, j’étais surtout très amoureux puisque j’ai rencontré celle qui allait devenir ma femme. Sinon, ce n’était pas le truc le plus marrant. En fait personne n’aime l’école de droit ! Mais j’étais un gamin plein de rêves avec une magnifique petite amie et foi en l’avenir. Et surtout je n’avais pas d’emprunt étudiant. On n’empruntait pas d’argent à l’époque. Je ne savais même pas que c’était possible. Mes parents se sont sacrifiés et j’avais deux-trois petits boulots. Aucun de mes amis n’a emprunté de l’argent pour étudier. Les sommes que l’on peut emprunter maintenant, c’est ridicule… cela ne devrait pas être autorisé.
A cette époque, saviez-vous que vous écririez des livres ?
Non. Je n’y ai jamais pensé enfant, adolescent ou étudiant. C’est arrivé quand j’avais trente ans quand j’ai soudain eu l’idée d’un grand drame judiciaire. Plus j’y pensais, plus j’aimais cette idée. J’ai commencé à prendre une heure ou deux par jour pour me consacrer à l’écriture et voilà.
Et à présent vous êtes une sorte d’esprit et d’œil en alerte regardant notre monde tourner…
Oui, toujours. C’est ce à quoi je m’occupe la plupart du temps. Lire des histoires, des journaux, la presse, des livres… Je ne regarde pas trop la télévision. Par exemple, à chaque fois qu’un juge ou un avocat est tué, c’est quelque chose. C’est irrésistible. Il y a forcément de bonnes histoires là-dessous.
Votre précédent roman, Le Cas Fitzgerald faisait une incursion dans le domaine des livres rares et des éditeurs… Quels autres milieux pourriez-vous explorer ?
J’ai écrit deux livres dans le milieu du sport américain, sept livres pour enfants, un essai, un recueil de nouvelles, un roman comique… donc des registres très différents. Je ne m’ennuie pas avec le milieu de la justice et je suis attendu par mes lecteurs. Mais si j’ai une bonne idée pour une histoire quelle qu’elle soit, je suis toujours impatient de l’écrire. J’adorerais écrire une histoire dans le milieu du basket-ball car de nombreux jeunes gens arrivent d’Afrique aux Etats-Unis et se mettent au basket. Sinon, j’ai une bonne idée pour une suite du Cas Fitzgerald. Je suis quasiment sûr que je l’écrirai l’année prochaine. J’ai toujours une liste de cinq idées et j’y réfléchis régulièrement. Chaque 1er janvier, je commence un nouveau livre. C’est comme ça que j’avance et surtout que continue de m'amuser.
Vous collectionnez les livres rares et les exemplaires originaux. Qui sont vos auteurs de prédilection, ceux qui vous inspirent ?
Oui, je collectionne les éditions originales d’auteurs américains du XXe siècle. Avant tout Faulkner, Hemingway, Steinbeck, Fitzgerald. J’ai commencé il y a à peu près trente ans. Nous vivions à Oxford dans l’état du Mississippi et l’un de nos amis avait un exemplaire du premier livre publié par Faulkner, un recueil de poèmes auto-édité. De très mauvais poèmes ! Il avait sans doute payé pour être publié. Il n’y avait qu’une poignée d’exemplaires à l’origine sans doute destinés à sa mère et quelques amis. Ma femme a réussi à acheter l’exemplaire de cet ami pour me l’offrir à Noël. J’étais aux anges, c’était incroyable ! Je me suis mis ensuite à acheter d’autres éditions originales de Faulkner. Et puis c’est devenu plus sérieux. J’ai acheté un Tom Sawyer, d’autres Mark Twain, ou un deux Dickens… Je ne suis pas un collectionneur très sérieux mais ça me prend pas mal de temps. À chaque Noël, mon épouse m’offre une édition originale de l’un de ces auteurs.
Pour ce qui est de mes inspirations, il ne s’agit pas de Faulkner ou Hemingway (rire)… Mais Steinbeck m’a toujours inspiré. En lisant Steinbeck je me disais que j’aimerais vraiment écrire de manière aussi limpide, même si à l’époque je ne pensais pas encore à l’écriture. Et il y a quelques auteurs contemporains dont je ne manque aucun livre : Ian McEwan, John Le Carré et Scott Turow, un avocat américain qui est par ailleurs un ami. Mais je ne peux pas tous les énumérer, je lis à longueur de temps. Espionnage, thrillers, enquêtes, romans noirs… voilà mes genres de prédilection. J’ai d’ailleurs demandé à mon éditrice française de m’envoyer un livre d’un jeune auteur français de romans à suspens. Elle doit choisir pour moi !
Si vous n’étiez pas devenu avocat puis écrivain, qu’auriez-vous pu exercer comme métier ?
Je ne sais pas trop. Sans doute les affaires d’une manière ou d’une autre… Je n’aurais jamais pu être docteur ou ingénieur ou architecte par exemple. Je n’ai aucune disposition en sciences ou en maths. Mais c’est une bonne question… oui, une carrière dans les affaires sans doute… Mais je suis bien content de ne pas l’avoir fait (sourire).
Vous écrivez également des livres pour la jeunesse. Quelle est la chose la plus importante que vous souhaiteriez transmettre aux jeunes générations ?
Quand je parle avec des jeunes, je leur conseille avant tout de lire. Les plus jeunes ne lisent plus, surtout aux Etats-Unis. Je leur dis : plus vous lisez, plus vous serez intelligent ; plus vous lisez, plus vous irez loin. Lire est la chose la plus importante. Lire de tout ! Mais je ne leur fais pas passer de messages assommants pour leur avenir. C’est facile de donner des conseils quand vous avez 64 ans, mais je sais aussi combien il est facile de les ignorer. Beaucoup de conseils ne sont pas bons à donner. Donc la plupart du temps je m’abstiens.
Propos recueillis par Noémie Sudre