Dans la vie comme dans le football, la gloire ne tient souvent qu'à un cheveu, et ce, à plus forte raison pour les "coiffeurs". Surnommés ainsi depuis toujours, sans vraiment que quiconque sache vraiment pourquoi, les remplaçants du foot ont longtemps vécu dans l'ombre du plus grand évènement sportif mondial, à une époque pas si lointaine qui les voyait contraints à passer les matchs encostumés en tribune. Leur histoire, que nous livre dans Éloge des coiffeurs l'écrivain et journaliste à L'Équipe Vincent Duluc, raconte toutefois bien plus que celle, déjà vaste, de la hiérarchie dans le monde du ballon rond. C'est celle de la vie de groupe, avec toutes les logiques qui lui sont inhérentes, celle de stars qui quittent le monde de la lumière pour celui de l'ombre, découvrant avec effroi la vitesse à laquelle il est possible de glisser de l'un à l'autre. C'est, aussi et enfin, l'histoire du rapport entre les médias et le football, et plus généralement l'histoire des grands quotidiens et de leur manière d'embrasser les grands évènements et les sujets qui passionnent les foules. Écrit dans une démarche journalistique, Éloge des coiffeurs possède cette force qu'a la littérature sportive de raconter au travers de la petite histoire celle, plus grande, de notre société, utilisant chaque moment de la vie dans le sport pour dresser un portrait des rapports de force entre humains, et de l'acceptation de la déchéance – soit-elle temporaire.
Hachette.fr : Comment vous est venue l’envie d’écrire cet Éloge des coiffeurs ?
Vincent Duluc : Je n’étais pas très chaud de faire un livre sur la Coupe du Monde, c’est un sujet sur lequel j’ai beaucoup écrit et sur lequel il a déjà beaucoup été écrit. Mais Benoit Bontout, qui est éditeur chez Marabout, m’a proposé cette idée et j’ai trouvé que c’était un angle intéressant pour ré-écrire l’histoire à travers une autre perspective.
Maintenant que vous vous êtes plongé dans cette histoire des coiffeurs, que vous évoque-t-elle ?
Il y a deux aspects que je trouve fascinants dans cette histoire. C’est d’une part l’histoire de joueurs qui sont stars dans leur club, et qui glissent une fois tous les quatre ans dans l’ombre et l’anonymat. D'autre part, il y a toujours une adéquation entre le comportement des coiffeurs et la performance collective. Concrètement, dans un groupe, quand les coiffeurs ne sont pas à leur place, c’est la cata. Si on prend l’exemple de la Coupe du Monde 2010 et le scandale de Knysna, qui a été le point le plus bas de l’histoire de l’Équipe de France, on constate que les leaders n'étaient pas les bons, que les coiffeurs n’étaient pas les bons. Et quand on se trompe sur ces rôles-là, on va droit dans le mur. C’est toutes les logiques de la dynamique de groupe qu’ils permettent de comprendre.
Éloge des Coiffeurs est l’exemple-même de la petite histoire que raconte la grande, car, en plus d’y voir une allégorie de la vie de groupe, on entr'aperçoit également le rapport des laissés-pour-compte avec les médias, dès la Coupe du Monde de 1958.
Alors, évidemment, on n'est plus dans le modèle de la Coupe du Monde de 1930 au cours de laquelle l’ancêtre de L’Équipe, L’Auto, avait demandé à deux joueurs de l’équipe de France de s’occuper eux-mêmes des comptes-rendus de match. Ce n’est qu’après la guerre que la Coupe du Monde est devenue médiatique : un peu avant, avec l’Italie de Mussolini qui a fait de la Coupe du Monde 1938 un grand moment de propagande, ou encore le premier film "Au cœur des bleus" réalisé la même année. Mais c’est vraiment à partir de 1958 que tout a changé. En France, il y a eu des opérations d’Europe 1 et de L’Équipe, qui avaient invité les femmes des joueurs, et faisaient envoyer des cartes postales de soutien par avions entiers. C’est aussi le début de la starification de quelques joueurs, Kopa et Fontaine... Les remplaçants, eux, n’étaient pas encore autorisés à rentrer pendant le match. Tout ça en dit beaucoup sur l’époque, sur l’histoire de la médiatisation croissante de ce sport.
Le football, comme la littérature, possède l’art de raconter la grande histoire au travers de la petite. Et pourtant, pendant longtemps, la littérature a eu du mal à s’emparer du football comme d'un objet. D’où cela vient-il d’après-vous ?
Le football a longtemps été méprisé par la classe intellectuelle, au moins jusqu’aux années 1990. Depuis, les lignes ont bougé, c’est devenu acceptable pour un véritable écrivain d’écrire sur le foot. Le prix Renaudot de cette année, Olivier Guez, a fait un superbe livre sur les Brésiliens et Garrincha en 2014. Même si la plus grande partie de la littérature sur le foot provient encore d’Angleterre, que ce soit par Nick Hornby ou David Peace. D’ailleurs, le premier livre sur le football que j’ai lu a été Carton Jaune de Nick Hornby. Puis il y a eu Ombre et lumière d’Eduardo Galeano. Mais avant, je n’avais jamais entendu parler d’écrivains qui s’étaient emparés du foot.
Quelles ont été vos premières influences quand vous avez commencé à écrire sur le foot ?
En tant que lecteur de L’Équipe, Antoine Blondin m’a évidemment influencé. Mais pas tant pour les chroniques en elles-mêmes que pour les calembours, et la fluidité et le style de son écriture dans son œuvre littéraire. J’ai toujours apprécié les écrivains qui avaient une certaine légèreté dans l’écriture. C’est ce que moi j’ai recherché, et que j’essaie de faire : rester dans une écriture fluide tout en racontant une histoire.
Avez-vous abordé l’écriture d’Éloge des coiffeurs, de Kornelia ou encore d'Un Printemps 76 de la même manière ?
Non, car ce ne sont pas les mêmes genres littéraires. Éloge des coiffeurs est très journalistique quand Kornelia s’inscrit dans une démarche plus littéraire, très certainement parce que j’y étais dans une zone d’inconfort. Pour Éloge des coiffeurs ou George Best, le cinquième Beatles, je suis dans un exercice que je maitrise. Je connais ces histoires par cœur, je sais déjà comment je vais les raconter. Tandis que pour les autres livres, il y a un travail supplémentaire à faire. Écrire sur une femme, c’est plus compliqué, car j’écris depuis 30 ans sur les hommes et le foot, alors il a vraiment fallu que je m’y plonge, que je trouve une structure. C’est amusant de se dire que c’était à la fois un monde nouveau, et un monde oublié. Pour Éloge des coiffeurs, le côté linéaire s’imposait de lui-même, il permettait de suivre l’évolution du rôle des coiffeurs.
Y’a-t-il quand même un point commun entre ces livres ?
Bien sûr, car ce qui m’intéresse dans la littérature sportive, c’est le décor plus que le sport. Dans George Best, ce qui m’intéresse, c’est sa vie, c’est l’Angleterre des années 1960, c’est la mode et la musique de cette décennie, pas les trois buts qu’il a marqués à tel ou tel match. De la même manière, pour Un printemps 76, je décris la coïncidence entre la montée des Verts à Saint-Etienne, et la perte de la classe ouvrière qui s’y joue. Dans Kornelia, idem. Je voulais y parler de la RDA plus que des records d'une sportive. Je pourrais écrire sur tous les sports, mais il faut que derrière je sache quel fil je tire autour, quelle histoire se dessine derrière. Il faut que le sport permette de comprendre quelque chose d’universel, qui dépasse le moment précis que l’on raconte.
Propos recueillis par Yvez Czerczuk