Trois ans à cent à l’heure. Voilà ce que dit la photographie en couverture du livre de Gapsard Gantzer, La Politique est un sport de combat (Fayard). Il faut dire que cette période en tant que conseiller en communication de François Hollande, d’avril 2014 à mai 2017, n’a pas été de tout repos. Trois ans perpétuellement "sur la brèche" à dormir avec ses téléphones sous l’oreiller, écrit-il. En 400 pages de journal qui se lisent comme un roman, Gantzer a la formule concise et le style alerte pour décrire les coulisses d’un quinquennat pour le moins mouvementé au plus près d’un président mal-aimé qu’il n’a pas toujours compris mais pour qui il continue de dire son admiration. Aussi abasourdi que les Français face à certaines réactions du président, il n’est pas moins fier de sa prestance et de son courage par exemple lors des attentats de janvier et novembre 2015. Ces "chroniques de la vie élyséenne" ne manquent pas, par ailleurs, de décrypter l’ascension fulgurante d’Emmanuel Macron, pote de promo de Gantzer et que le président a trop longtemps regardé d’un œil attendri, tandis que le nerveux Manuel Valls rongeait son frein. Le texte prend tantôt les accents de la tragédie, tantôt ceux de la farce et c’est pour le moins savoureux. Voici cinq extraits choisis.
1. "T’as assuré. On se voit à l’ENA"
Dès la page 18, l’actuel président de la République sort de sa boîte. Il sera l’autre personnage incontournable du livre. C’est que Gaspard Gantzer et lui sont de vieux potes de promo. Ils se rencontrent en fait lors de l’épreuve de sport de l’examen d’entrée à l’ENA en 2001.
"C’était la seule épreuve que je pouvais majorer ayant passé davantage de temps sur des terrains de footbal et de rugby que dans des bibliothèques. Le passage dans les vestiaires m’avait rassuré. Les aspirants énarques n’avaient pas des physiques de culturistes, ni d’équipements de professionnels. L’un d’eux n’avait même qu’une paire de mocassins, quand un autre portait une chemise Ralph Lauren à manches longues au-dessus d’un short en lycra et d’une paire de Nike jamais utilisée. La matinée se terminait par une course de quinze cent mètres. Je devais passer dans les derniers. La course lancée, j’avais vite pris la tête, pour suivre mon propre rythme. Mais au moment d’attaquer les quatre cent derniers mètres, j’avais ressenti un intense point de côté. Un coup de poignard dans l’estomac. Impossible de reprendre ma respiration. Alors que je me demandais si j’allais tenir bon, j’ai entendu des encouragements derrière moi : « Allez mon vieux ! Tiens bon ! T’es devant ! Donne tout ! »
J’ai terminé en m’écroulant sur la ligne franchie. Quand j’ai relevé la tête, une main était tendue vers moi. Celle d’un gars à peine plus âgé que moi, les yeux bleus, la chevelure blonde et brouillonne, qui m’a dit, dévoilant ses dents du bonheur : « T’as assuré. Un point en sport, c’est une place au classement. Tu vas intégrer. On se voit à l’ENA. »
Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron et moi étions reçus. Moi, beaucoup grâce au sport, lui surtout grâce au reste !" (pp. 17-18)
2. "Erreur ou stratégie ?"
Président incompris et impopulaire, François Hollande aura maintes fois surpris par son impulsivité vis-à-vis des médias, comportement face auquel on découvre fréquemment un Gaspard Gantzer dépité. Une attitude déroutante qui a pu lui jouer des tours et soulever fréquemment à son sujet cette question : erreur ou stratégie ?
"Notre cortège file vers Paris. Dans les tribunes du Stade de France, le président m’a indiqué qu’il avait discuté en off avec Cécile Amar du JDD, journaliste qui le suit depuis longtemps, une des rares qu’il estime vraiment. « Elle retiendra sans doute une ou deux phrases entre guillemets, mais c’est tout. »
Alors que la voiture me dépose chez moi, je tiens à en avoir le cœur net : en une du JDD se déploie une grande photo du président. Aussitôt je réprime un haut-le-cœur. Les mots qui titrent l’article sont beaucoup trop forts : « Le retournement arrive. »
Je ne comprends pas. Nous avions décidé de tout miser sur l’interview de RMC. Pourquoi s’exprimer avant dans le JDD ? La situation m’échappe. Est-ce une erreur ou une stratégie ? Entretient-il ce genre de relation avec de nombreux journalistes ? Je sais qu’il en connaît beaucoup et depuis longtemps. Mais combien ?" (p. 36)
3. "C’est surtout Manuel qui est remonté et qui ne va pas le rater. Au moindre mot, il sort."
L’ouvrage de Gantzer donne un éclairage inédit sur l’ascension d’Emmanuel Macron notamment à partir de sa nomination à Bercy jusqu’à sa sortie du gouvernement et le lancement du mouvement En Marche ! Manœuvres que François Hollande semble avoir regardé trop longtemps d’un œil attendri et face auxquelles Manuel Valls, dont les velléités pour 2017 sont claires, a très vite rongé son frein. Nous sommes le 6 avril 2016.
"« J’ai pris le temps, j’ai réfléchi, j’ai consulté, j’ai associé et j’ai décidé qu’on allait créer un mouvement politique nouveau, c’est à dire qui ne sera ni à droite, ni à gauche. » Chemise claire, costume sombre, sans cravate, Emmanuel articule consciencieusement, pour masquer l’émotion que son regard trahit. Assis, bien installé devant mon écran d’ordinateur, je regarde le héros du soir se jeter à l’eau. Entre son annonce au président et l’annonce publique, le « groupe de réflexion » s’est visiblement transformé en « mouvement politique ».
J’écoute sa déclaration jusqu’au bout : il est prudent et ne parle que de son mouvement. Aucune critique de l’exécutif n’est perceptible. Il transgresse, certes, mais toujours prudemment. Assez pour énerver tout le monde, pas assez pour se faire limoger. J’appelle le président qui semble moins en colère que moi : « J’espère qu’il restera prudent. C’est surtout Manuel qui est remonté et qui ne va pas le rater. Au moindre mot, il sort. » Quand je lui demande comment il le prend, il me confie regarder le nouveau mouvement un peu de haut : « Ni de droite, ni de gauche, ça n’existe pas. Il ferait mieux de dire qu’il vient de la gauche et de revendiquer ce que nous avons fait ensemble. »
Déambulant devant trois écrans, faisant face à une rangée de chaises avec des huiles, Emmanuel enchaîne en décrivant ce mouvement qui, selon lui, doit être « une dynamique face au blocage de la société ». Il s’appellera « En Marche ! ». « En Marche ! », « E.M. », comme les initiales d’Emmanuel Macron. C’est une bonne grosse ficelle de communicant, mais c’est malin. Sauf pour les résidents du palais qui regardent cela d’un œil moqueur. Les commentaires des collaborateurs ne manquent pas de railler le « ridicule » de ce lancement, prenant le ministre de l’Économie pour une sorte de petit bonhomme ambitieux et maladroit." (pp.233-234)
4. "Les citations du président sont tout bonnement abominables"
L’onde de choc provoquée par la parution du livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça (Stock) en octobre 2016, et qui précipitera vraisemblablement la décision de François Hollande de ne pas se représenter, résonne jusqu’aux cercles les plus proches du président. Même Gaspard Gantzer est abasourdi. S’il était au courant que le président parlait régulièrment aux deux journalistes d’investigation depuis deux ans, il était confiant sur la teneur des entretiens. Jusqu’à la parution des bonnes feuilles dans la presse… jour où il trouve dans son bureau un François Hollande déconfit.
"7 heures, une alerte sur mon téléphone annonce la parution d’autres bonnes feuilles du livre de Davet et Lhomme. Comment est-ce possible ? Celles-ci ne sortent normalement que dans un seul journal, négociées en exclusivité avec les attachés de presse des maisons d’édition. J’ouvre l’article, disponible en ligne. Aussitôt, mon cœur s’arrête de battre. Les phrases, les citations du président sont tout bonnement abominables. L’article relate notamment ses propos concernant la justice, que le président aurait qualifié d’ « institution de lâcheté. C’est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux… On n’aime pas le politique. »
Sacrément viral. Je reçois tout à coup des dizaines de SMS, des tonnes d’alertes Twitter.
Je fonce à l ‘Élysée. Le président est dans son bureau. Il a mauvaise mine. « François, il va falloir discuter. » Il ne répond pas, il souffle. Nous n’avons pas besoin d’aborder directement le sujet, nous savons qu’il n’est pas fier. Il ne pensait pas que les journalistes le trahiraient.
Au bout d’un moment, il lève la tête vers moi. Je lui dis : « Je ne viens pas t’en parler. Mais as-tu au moins essayé de les appeler ? » Il me répond qu’il essaie depuis ce matin, mais que les deux journalistes ne répondent pas. L’un d’entre eux lui aurait dit être parti dans le sud de la France, où il capte mal – évidemment, qui peut croire que des auteurs quittent Paris la veille de la sortie du livre sur lequel ils travaillent depuis des années ? Je quitte le bureau sans un mot. Dépité. » (pp. 274-275)
5. "Dire ma fierté ? Ce ne serait pas forcément compris."
Sa fierté et son admiration pour François Hollande, Gaspard Gantzer l’exprime à bien des reprises dans l’ouvrage, la plume chargée d'émotion, notamment quand il raconte les attentats de janvier et de novembre 2015. Mais le choix et l’annonce de François Hollande de ne pas se présenter à sa succession est l’un des instants les plus forts du récit. Nous sommes le 1er décembre 2016.
"« (…) Aujourd’hui, je suis conscient des risques que ferait courir une démarche, la mienne, qui ne rassemblerait pas largement autour d’elle. Aussi, j’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle au renouvellement de mon mandat. »
Sa voix est blanche. Elle semble retenir un sanglot. Il enchaîne pourtant. Vite, laissant le débit s’accélérer jusqu’au terme de son propos. À côté de moi, toutes les personnes se retiennent de pleurer.
20h10. François Hollande quitte le studio et revient dans notre petit couloir. Il nous dit : « Ça, c’est fait. »
(…)
Quelques minutes plus tard, il regagne son bureau. Nous arrivons ensemble dans son secrétariat où ses quatre assistantes sont en larmes. Il les embrasse. Il cherche les mots, les console. Mais le chagrin est trop fort. Il reste avec elles, tandis que je rejoins le bureau de Jean-Pierre Jouyet. Une dizaine de conseillers sont réunis autour du secrétaire général. La télévision est encore allumée. Peu de mots échangés. Des regards tristes, confus, surpris, éprouvés. Mais aussi des yeux courageux et fiers de leur président. J’échange quelques mots avec eux, mais je n’ai pas envie de parler. Que pourrais-je-dire ? Commenter la prestation ? Les mots ne seraient pas assez forts, pas assez beaux. Exprimer mon chagrin ? Ce serait indécent et déplacé. Dire ma fierté ? Ce ne serait pas forcément compris. Alors je leur dis : « Je vous laisse. Je dois rappeler des journalises. » Je file vers mon bureau." (pp. 299-300)
N.S