01 Octobre 2015
A 70 ans, Charlotte Rampling s’est livrée à l’éditeur et auteur Christophe Bataille pour publier Qui je suis (Grasset), un court texte écrit comme on pense ou rêve et où elle effleure les axes de sa personne et la mort de sa sœur restée longtemps un mystère. En voici quelques versets choisis.
Qui je suis n’est "(…) ni une biographie, ni un chant, ni une trahison, à peine un roman – disons une ballade comme on fredonne la ballade des dames du temps jadis". C’est en tout cas en ces termes qu’ont réussi l’écrivain et éditeur Christophe Bataille et Charlotte Rampling à définir l’ouvrage dans ses premières pages. Un recueil dans lequel leurs deux voix se mêlent et où la grande actrice anglaise, aujourd’hui âgée de près de 70 ans, dépose des poèmes ou des pensées qui viennent légender les photos familiales, et surtout se souvenir d’une sœur tendrement aimée et trop tôt partie dans des circonstances qui ont tardé à s’éclaircir.
"Le grand bal du printemps va commencer. Tout est satin, soie parfumée. Un photographe fixe cet instant. Fitzgerald ne rêvait pas. S’il y a un envers du paradis, il y a aussi un paradis. Oui ce monde a existé. Cette longue voiture devant un perron d’autrefois, ce n’est pas autrefois : c’est la jeunesse de ma mère." (p.34)
"Une jeune fille en robe de crêpe se tient assise devant une roulotte. Elle est pieds nus dans ce paradis de fleurs noires et blanches et gracieuses. Il flotte un poison, je ne sais pas lequel. A-t-elle pensé quelque chose à cet instant ? Elle me regarde si doucement. J’étais prête à partir dans mon rêve de bois et de vents, fille de la mélancolie et du rire : mais je suis restée." (p.48)
"Sarah était une vraie poupée : visage de porcelaine pâle. Grands yeux qui interrogent l’avenir. Cheveux blonds que maman peignait et lissait à l’infini. Sarah était choyée, habillée, embrassée… Il fallait prendre soin d’elle. J’ai ce souvenir de beauté, à quoi se mêlaient la fatigue, la maladie, et aussi ces paroles : Charlotte, occupe-toi de ta sœur. Je l’ai écrit : ma grande et ma petite sœur. Prends soin d’elle. Un vrai roman anglais, avec une enfant pâle qui tousse la nuit dans sa chambre. Vers trois ans, Sarah a été opérée de son mal, mais elle est restée fragile toute sa vie, comme une fleur pas vraiment faite pour ce monde." (p.58)
"En arrivant chez mes parents, je vois mon père qui ouvre la petite porte du jardin et s’avance vers moi. Il me lance d’une voix forte : « Your sister is dead ». C’est comme ça que je l’ai appris. « Go and see your mother. » Ce que j’ai fait, le laissant seul, au milieu du jardin.
Ma mère est tassée dans un fauteuil. J’approche et elle agrippe ma main, je sens sa force soudaine et désespérée : ma mère me tient comme si elle allait m’emmener avec elle. Je me débats, instinctivement, elle me fait mal, j’essaie de retirer ma main, d’écarter la sienne. Et elle perd conscience.
Pendant de longues années, elle reste inconsolable. Tout s’en est allé avec Sarah". (p.79)
"Il faut imaginer l’atmosphère qui régnait au Barnays Intitute, à Stanmore, au début de l’été. La salle était comble. Je me souviens des bruissements. Des rires.
Sarah et moi étions en imperméable et en bas résille. Nous portions des bérets. Nous avons chanté Luis Mariano, à notre façon. C’était so French…
A la fin, les gens sont venus me voir. Ils semblaient étonnés : Charlotte, we didn’t know you ha dit in you !
J’ai commencé à comprendre. A comprendre le regard qui emporte l’autre. Le tient. Le défie. Ce regard qui disparaît au sortir de la scène.
J’avais quatorze ans et je n’ai pas oublié cette sensation trouble et provocante". (p.90)
"Ma sœur est morte dans la violence.
Je vois ma famille sombrer dans le mutisme.
J’ai pris la fuite et je suis devenue une étrangère parmi des inconnus. La quête inconsciente du deuil m’a guidée ici.
Il m’a fallu de longues traversées du désert avant que je ne verse ma première larme, pour devenir enfin une femme soulagée par une souffrance trop contenue". (p.110)
© Collection personnelle de Charlotte Rampling
N.S