Deuxième roman que je lis de cet auteur, j'avais déjà apprécié son style et son écriture à la fois tendre et féroce dans la liste de mes envies.
Ici le personnage principal est un homme assureur Antoine, qui a une vie plutôt rangée il est divorcé de Nathalie et père de 2 enfants une fille Joséphine et un fils Léon. Il aime son métier où il doit estimer la valeur, lutter contre la fraude et appliquer le règlement quitte à être sans cœur pour la douleur ou la détresse des gens.
Sa vie va être bouleversée par une série d'évènements dont la maladie de son père qui a un cancer incurable qui vont modifier sa perception des choses et de la vie et l'amener à modifier radicalement son mode de vie et à faire un choix lourd de conséquence pour lui et sa famille.
Les chapitres sont originaux et présentés avec des sommes d'argent comme par exemple la somme du paquet de malabar que le narrateur a donné à sa petite sœur Anna en espérant qu'elle retrouve la parole complètement, elle qui l'a perdue suite au décès de sœur jumelle, le prix d'un repas où son père ne l'a pas soutenu, d'une escroquerie par des plombiers un jour férié qui lui fait perdre le respect de ses enfants par exemple. On a ainsi un tableau impressionniste de sa vie et on fait des allers retours entre son présent, son enfance, adolescence, ses fêlures. Son drame personnel celui d'avoir été abandonné par sa mère, l'incapacité de son père à verbaliser ses sentiments et à s'affirmer. La honte qu'il éprouve vis-à-vis de ce père à qui le narrateur ressemble trop.
Ses pensées intimes défilent avec en toile de fond dans la première partie un rêve fou, un idéal partir au Mexique boire des cocktails sur la plage et profiter de la vie, les parties suivantes se déroulent après un choix dramatique du personnage et on assiste à sa reconstruction et au récit de celui de sa fille qui nous raconte son point de vue sur son père. Cette polyphonie de voix est intéressante, le récit est vif, alerte on comprend rapidement qu'il s'est passé quelque chose de grave mais on ne sait lequel et la tension monte crescendo au fur et à mesure des épreuves du narrateur. Le livre parle aussi bien de la douleur de l'abandon, l'incapacité à exprimer ses sentiments, l'horreur de la maladie à travers le personnage du père et de la belle mère qui diminue et annihile tout. Il montre aussi les petites misères quotidiennes, les rouages implacables de l'administration ici des assurances qui ne font pas de cadeau, du chômage, de la lâcheté. Il y a une belle galerie de personnages secondaires comme Ana la sœur quasi muette d'Antoine, FFF son grand ami depuis l'enfance, la belle mère Colette.
Mais il parle aussi du pardon, de la reconstruction (" Ici j'ai appris à me défaire lentement de mes morts. Ici le temps m'a réparé "), d'arriver à surmonter ses douleurs et ses épreuves quand le personnage est au Mexique ou quand sa fille apprend à connaître son père et à l'aimer. On se retrouve tour à tour dans les différents personnages et on suit cette tragédie moderne grâce au style efficace et sans concession de l'auteur.
J'ai vraiment apprécié cette lecture même si au départ j'ai été déconcerté par l'absence de chronologie des évènements qui s'explique à la fin de la première partie, j'ai aimé ce portrait d'homme blessé qui se " construit de travers" comme il dit , son regard acide sur la société moderne, l'inhumanité de pôle emploi ou les assureurs qu'ils comparent à des hyènes. Les passages sur le Mexique sont très poétiques avec la description de l'hôtel, les passages où il raconte son amour pour sa mère, sa rencontre avec son ex femme ou la légende sur la pluie. De même j'ai aimé le changement de point de vue avec l'histoire de la fille du narrateur, comment elle apprend à devenir une jeune femme, à comprendre les erreurs de ses parents, à se reconstruire elle aussi qui a grandit comme son père de travers.
Un livre plein d'humanité qui nous fait comprendre que le bonheur passe vite, qu'il ne faut pas s'attarder à la vitrine, qu'il faut parfois oser et surtout il faut faire avec nos blessures d'enfance et nos lâchetés mais aussi nos rêves car c'est elles qui nous construisent. Alors plongez de l'autre côté du miroir et découvrez la vie d'Antoine