Shimura-San vit seul à Nagasaki. Homme très ordonné, il tient une maison très propre où tout est à sa place. Tous les matins, il part travailler à la station météorologique de la ville et rentre chaque soir dans sa grande maison silencieuse désertée par son fils qui ne lui rend plus visite qu'une fois par an. Un jour, il a l'impression étrange que des objets ont été déplacés, que de la nourriture a disparu. Les faits se reproduisent et peu à peu cette idée l'obsède ; il décide alors d'installer chez lui une webcam qui lui permettra de surveiller sa maison de son travail. Quand il aperçoit sur son écran qu'une silhouette sa déplace chez lui, dans sa maison, sa vie bascule. Il découvre effaré qu'une femme vit chez lui, à son insu ; profondément perturbé, assimilant cete intrusion à un viol, le narrateur ne parvient plus à se sentir à l'aise chez lui, se sentant complètement dépossédé. La parole de l'intruse, silhouette furtive jamais nommée, nous apprend pourquoi elle est là, comment elle a pénétré dans la maison et vécu de nombreux mois en clandestine, cachée dans un placard ; elle aussi a connu une certaine dépossession de son chez-soi. "Nagasaki" est le récit de deux solitudes qui se sont croisées sans se reconnaître. Shimura-San a une attitude ambivalente envers la clandestine : révulsé par sa présence qui le fait se sentir comme un étranger dans sa propre maison, il éprouve malgré tout une certaine culpabilité d'avoir intenté un procès contre cette femme pour quelques denrées volées. De son côté, la clandestine s'est installé dans le quotidien du météorologue, décelant peu à peu quelle est sa vie, quels sont ses goûts et ses manies..., comme une discrète mais perspicace compagne... Eric Faye nous offre un texte sobre, concis, sans un mot superflu, sans fioritures inutiles mais néanmoins riche et profond. Inspiré d'une histoire vraie, ce récit singulier nous amène à réfléchir sur ce qui fait notre identité et celle de l'autre, l'autre qui bouleverse et transforme notre rapport au monde ; et pose la question de l'humain et sa place dans la société individualiste qui laisse de côté certains de ses membres, jusqu'à les effacer et les oublier. Devenus invisibles aux yeux des autres, ces exclus finissent par se fondre, se diluer dans les lieux qu'ils traversent sans jamais les occuper vraiment. Le roman se conclut sur une lettre de l'intruse qui laisse un léger sentiment d'inachevé, de manque, choix parfaitement assumé par l'auteur qui, volontairement, "n'apporte aucune réponse, comme peuvent le faire des auteurs de romans policiers. [Il] réhabilite le mystère.", nous offrant un récit sensible, profond, fascinant.