Parce que "la vérité est qu'il ne reste rien de [leur] fils". Parce qu'il se demande si son fils Eugène a existé même s'il n'a pas vécu, ou si peu. Parce que le tsunami qui a en silence renversé leur vie a tout dévasté. Parce que sa femme s'est murée dans le silence, "comme si elle avait laissé le son de sa voix dans le berceau du petit". Parce qu'il n'y a rien de plus à dire que la mort de ce tout-petit être, la douleur, le manque que rien ni personne ne pourra jamais combler. Mais parce qu'il faut quand même bien recommencer à vivre, un tout petit peu, doucement, progressivement, le narrateur de ce livre magnifique, poignant, bouleversant entreprend d'écrire la brève histoire de ce bébé mort trop vite. Mais comment raconter l'histoire de son fils, "l'infinitésimale histoire du tout-petit Eugène" ? Le narrateur, qui ne sera jamais nommé, s'exprimant à la première personne pour mieux nous emporter dans son récit et ses tentatives pour continuer à "porter son fils", douloureusement conscient que "si plus personne n'en parle, Eugène ne sera plus." Il se fait un devoir parental, conjugal, de raconter le fils pour redonner des mots à la mère. Mais il y a un écueil, un terrible écueil : la toute petite vie de son tout-petit tient en quelques 3527 caractères. Pas de quoi combler un vide. D'Eugène, il n'y aurait donc rien, que du chagrin ? Les jours passent et en butte à d'inlassables échecs, le narrateur décide alors d'inventer à son fils l'avenir qu'il n'aura jamais, toutes les vies extraordinaires qu'il aurait pu, qu'il aurait dû avoir, tandis que sa femme, en silence, coud sans fin des pantalons en velours rouges de toutes les tailles de tous les âges de la vie... Autour d'eux, il faut encore affronter le désarroi des proches, leur maladresse, la quasi-indifférence de certains, la pitié inutile des autres, le spectacle de la vie qui continue pour tout le monde. Sauf pour eux.
Isabelle Monnin nous place dans le coeur et la tête de ce papa brisé. Dans son récit, la tristesse est omniprésente et pourtant jamais plombante. L'histoire est dure mais le narrateur parvient à mettre un peu de légèreté dans la douleur grâce à l'humour dont il fait preuve quand il raconte son incroyable "entreprise". Le ton est extrêmement juste, l'écriture est simple, sincère, profondément touchante sans jamais tomber dans le pathos. La lettre de la maman, seule "parole" que l'on entend d'elle, est un cri de douleur mais surtout d'amour à son "petit éphémère" ; les larmes nous envahissent. On comprend que sa vie et celle de son mari seront à jamais un exercice de funambule sur le fil de l'existence pour avancer chaque jour pas à pas. Parce que dans cette vie "tout y sera à part [lui]".