De même que Sartre était parti d'un postulat absurde - avoir ses trois personnages en permanence sur scène - pour mettre en scène sa pièce " Huit clos ", de même Amélie Nothomb a choisi pour débuter son roman une situation caricaturalement enchanteresse, pour mieux mettre en évidence l'absurdité de ce qui va suivre. Ce couple de retraités est idéalement idyllique. Jusqu'au grotesque. Tellement parfait que d'emblée il nous agace. On est presque heureux de voir apparaître ce gros sans gêne de Palamède pour mettre un peu les pieds dans le plat. Trop gros pour être le cheveux sur la soupe, bien assez pour être la pavé dans la mare, Palamède va s'incruster de manière absurde. Notre couple trop parfait, trop policé se retrouve alors piégé par ses bonnes manières, son savoir vivre. Dans leur esprit où plane une incompréhension totale devant l'attitude étrange de leur voisin, s'égrènent toutes les suppositions, s'échafaudent toutes sortes de plans. C'est un cauchemar. Comme dans les cauchemars, on sait ce qu'il faudrait faire pour se sortir de cette situation, mais quelque chose, une force mystérieuse nous empêche d'agir comme on le voudrait, ou comme on le devrait. Emile Hazel et sa femme vivent un cauchemar éveillé et nous, spectateurs impuissants de ce drame nous sommes bientôt en empathie complète avec les victimes.
Avec sa perversion habituelle, Amélie réussit à nous piéger nous aussi. Du rire grinçant de raillerie, nous glissons très vite vers un ricanement étranglé d'angoisse suffocante.
