Machiavélique en effet, il n'y a pas d'autre mot pour qualifier la façon dont l'auteur nous manipule. Albert, ce mystérieux criminel, tire les fils des différentes mises en scène qui accompagnent la découverte de chaque crime, ou l'intuition d'un autre. Comme l'équipe de policiers, qui sont pourtant des professionnels aguerris et efficaces, nous sommes soumis au rythme de l'enquête. Aux moments d'intense émotion et de stress succèdent des moments d'euphorie lorsque l'enquête fait un bon en avant. Mais souvent la déception et le découragement suivent lorsqu'il s'avère que tout est conforme aux plans prévus, que la manipulation a été efficace et qu'en fait Albert est le seul auteur de cette folle partition.
Les personnages sont à la fois attachants et complexes. Chacun dans son style, chacun des différents membres de l'équipe d'investigateurs a une vie, une façon différente de s'impliquer dans l'affaire. Les plus sympathiques ne sont pas forcément les plus irréprochables. Ils ne sont ni des surhommes ni des anges. Mais ils se doivent de se donner corps et âmes pour essayer de sauver ces fillettes. Leurs doutes et leurs angoisses sont bien retranscrits. Même si le roman s'attache particulièrement à Mila Vasquez, chacun acquiert rapidement profondeur et réalité. Certains s'avèrent de vrais salauds, d'autres se révèlent mériter bien plus de sympathie que celle qu'on leur a accordée. Rien n'est manichéen. Un gentil peut être détestable, un monstre attachant.
Aspect assez inhabituel, les relations entre les membres de l'équipe sont particulièrement développées. Les tensions entre Mila, pièce rapportée, et cette équipe qui a déjà son histoire, sont palpables. Les luttes de pouvoir au sein de leur hiérarchie policière, les aspects médiatiques et politiques de l'enquête viennent perturber et colorer l'enquête d'un réalisme supplémentaire.
Les faits relatés sont horribles. Les descriptions sont assez cliniques mais ne s'attardent jamais inutilement dans une morbide complaisance. Les crimes sont affreux, mais leur caractère innommable est plus transcrit par les sentiments et les réactions des personnages que par un voyeurisme malsain. Cela aide beaucoup a supporter les passages difficiles. La psychologie occupe une grande place dans ce roman. La psychologie des policiers, celles des victimes et celle des bourreaux. Il s'agit toujours de psychologie de qualité, intelligente, respectueuse, pas de pseudos justifications hâtives. C'est une des armes de Albert, mais aussi une des défenses de Mila. Sans lieux communs, elle apporte une plus-value certaine aux personnages.
Le contexte est assez étonnant. Bien que très bien décrit et présent lorsque nécessaire, il est étrangement très peu localisé. Pas de noms de villes, de lieux, de monnaies qui pourraient situer de façon certaine l'action dans un lieu précis. Cela ajouté à un ensemble de références à notre monde quotidien fait qu'il y a très peu de distanciation. Même si certains surnoms sont à consonance anglo-saxonne, tout cela pourrait très bien se passer ici et maintenant. Sentir cette horreur et cette angoisse proches, peut-être au pas de notre porte, sans un océan pour nous en séparer ajoute un surplus d'implication et donne un impact beaucoup plus fort.
Les phrases sont assez courtes. Jamais elle ne s'enlisent dans des digressions inutiles lorsqu'elles déroulent le fils de l'histoire. Elles se font plus longues et plus construites lorsqu'elle rapportent les états d'âme et les introspections des protagonistes.
On se sent à la fois pris dans cette histoire et frustrés. Frustrés parce que l'on sent bien que l'on est manipulé. On s 'emballe et on se casse la gueule, selon la volonté d'Albert. On cherche, on espère et on désespère au fil des actes écrits par ce " Chuchoteur " et donc par l'auteur. Le rythme est tout particulièrement bien maîtrisé. On est frustré également parce que les éléments à notre disposition ne sont distillés que parcimonieusement. Les doutes, les soupçons, les désillusions se succèdent rapidement, ou à l'issue d'une longue attente, ballotté par un maître du jeu implacable.
Un plus : le titre italien, que je trouve parfaitement opportun : " Il Suggeritore ", que l'on pourrait traduire par "le suggestionneur", si le mot existait.
Conclusion.
Malgré ses presque 600 pages, j'ai été tenu en haleine tout le long de ce livre où tout est parfaitement maîtrisé. Ne le commencez pas un soir si vous devez lever tôt le lendemain, vous pourriez y passer la nuit.
Ma note 18/20
coup de cœur