Depuis la nuit de l'incendie et la disparition de douze mâles, rien n'est plus pareil dans le camp Mulungo, en Afrique subsaharienne. Comme le veut la coutume, on a installé provisoirement "les mères dont on n'a pas revu les fils" à l'écart, dans une case commune, afin de ne pas embarrasser le clan de leur chagrin, ni contaminer les personnes avec qui elles vivent, mais rien n'y fait, le retour à la tranquillité ne se fait pas.
Ebeise, l'accoucheuse, sent que cette disparition cache un événement très grave. En effet, "pour tout Mulungo vivant de nos jours, le monde se limite aux terres de son peuple et à celle des Bwele", clan voisin avec qui ils font des échanges commerciaux. Pourtant, les Bwele semblent cacher des informations de première importance, dont l'apparition d'étranges personnages blancs "aux pieds de poule", des étrangers "venus de pongo par les eaux", porteurs de machettes qui crachent le feu.
Dès lors, Mukano, le chef du clan Mulungo décide de se rendre en pays Bwele avec sa garde rapprochée. C'est à lui d'éclaircir la situation. Ce qu'il ne sait pas, c'est que son frère aussi, Mutango, a pris le même chemin, mais non pour les mêmes raisons, ainsi qu'Eyabe, une mère à la recherche de son fils disparu la nuit de l'incendie. De ce périple chacun va y trouver une réponse, parfois sa propre interprétation des événements, mais aussi et surtout, va faire le deuil de leur naïveté, notamment en traversant le pays Bebayedi:
"un espace abritant un peuple neuf, un lieu dont le nom évoque à la fois la déchirure et le commencement. La rupture et la naissance. Ceux qui sont ici ont des ancêtres multiples, des langues différentes. Pourtant ils ne font qu'un. Ils ont fui la fureur, le fracas. Ils ont jailli du chaos."
Car c'est bien le chaos le sujet principal du roman. Le chaos de la traite négrière, du commerce des hommes, facilité par des clans voisins pour satisfaire leurs trocs commerciaux et leur sécurité avec les étrangers.
Alors, dans la nuit, dans l'ombre des soutes des bateaux, un chant commun s'élève. C'est celui des prisonniers qui désirent quitter leurs corps de misère pour se réincarner dans le ventre de leur mère et revenir à la vie au sein de leur clan.
Léonora Miano use de sa prose envoûtante pour un sujet terrible. Des mots tels esclavage ou traite ne sont jamais exprimés. Le lecteur devine les faits à travers la dislocation et l'incompréhension d'un peuple. Elle insiste sur la mémoire, les coutumes, les voix entendues dans l'ombre de ceux qui ne sont plus pour donner de la dimension à l'ensemble. On retrouve dans ce roman l'envoûtement lu dans son triptyque: "l'intérieur de la nuit", "contours du jour qui vient", "les aubes écarlates".
La saison de l'ombre annonce des temps obscurs, la perte de la mémoire collective, la fin de clans entiers dont les survivants se rassembleront pour former un peuple nouveau. Elle rappelle aussi la bassesse humaine lorsqu'il s'agit de commerce et d'enrichissement personnel.
Un roman magistral tant par la forme que par le fond.
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4/5
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