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30 Mars 2018

Isabelle Carré : "Retourner au pays de l'enfance m'a procuré un plaisir incroyable"

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Très jolie surprise de ce début d'année au rayon littérature, Les Rêveurs (Grasset), premier roman de l'actrice Isabelle Carré, continue de rayonner dans les médias et de toucher les lecteurs. Récemment récompensée du grand prix RTL-Lire, elle y réimagine son enfance et son entrée dans l'âge adulte par le prisme de la fiction dans une prose onirique à la fois dense et sensible. Nous avons eu le grand plaisir de discuter avec elle de ses premiers pas en tant qu'auteure. 

Hachette.fr : Isabelle Carré, je suis vraiment ravie de pouvoir parler des Rêveurs avec vous. 

 

Isabelle Carré : Moi aussi. J’adore parler de ce livre. Je ne suis pas blasée. Je suis contente parce qu’il rencontre les gens et c’est un plaisir de l’accompagner si longtemps. 

 

Une des premières choses qui m’a frappée c’est que la langue fourmille de détails, de petits faits… Vous aviez beaucoup de choses en vous ? Ce livre vous habitait depuis longtemps ? 

 

Cela faisait vingt ans que j’essayais de l’écrire sans y parvenir. J’avais déjà la construction finale de pas mal de chapitres : Le Piano, Les Revues, Le Placard… Je savais aussi que je voulais écrire Pantin, mais je n’avais pas vraiment d’idée sur la construction globale et surtout je n’arrivais pas à aller au bout. Ces petits morceaux épars, je les rangeais et je passais à autre chose. C’est vraiment l’atelier d’écriture de Philippe Djian, Marcher sur la queue des tigres, qui m’a donné l’impulsion pour aller au bout. 

 

C’est un livre très dense mais il reste quelque chose de l’ordre d’une rêverie dans la prose, comme le titre l’évoque. Le lecteur rêve et vagabonde avec vous. Vous recherchiez cette impression de lecture ?

 

Absolument. Je n’avais pas du tout envie d’une enquête, d’un témoignage ou de quelque chose de clair et de précis. J’avais envie que ce soit flou, subjectif, sous forme de tâtonnement, de puzzle qui s’assemblerait et où rien ne serait résolu complètement. Des impressions, des couleurs, des sensations, des odeurs, des souvenirs avec ce que cela implique d’imprécision et d’imagination… 

 

Peut-on parler d’autofiction ? 

 

Ce n’est pas une autofiction pour moi. C’est vraiment un roman avec de nombreux accents autobiographiques. Je n’avais pas du tout envie de rentrer dans le réalisme, ni d’écrire un journal. J’avais vraiment envie de m’autoriser à raconter une histoire. 

 

Cela a-t-il été difficile de trouver comment articuler ces faits autobiographiques et le travail de l’imagination ? 

 

J’avais vu le film Stories we tell de Sarah Polley où elle parle de sa famille, où elle mène une enquête. Elle va voir les uns et les autres, chacun raconte son histoire et on se rend compte qu’il n’y a pas une histoire mais autant d’histoires que de personnes, chacun croyant détenir la vérité. Personnellement, je n’avais pas du tout envie d’aller chercher la subjectivité de chacun. J’avais vraiment envie de raconter ma vision des choses en m’en éloignant aussi. C’est un passé que j’avais envie de réécrire, auquel j’avais envie de donner de nouvelles formes, comme si je le rendais présent avec tous les changements encore possibles du présent. 

 

Qu’est-ce que l’écriture a produit sur vous ? 

 

Un énorme plaisir d’abord… Un plaisir incroyable d’être dans cette bulle, de voir enfin que les choses coulaient, que je n’étais pas dans quelque chose d’aussi heurté et laborieux qu’auparavant et surtout de retourner là-bas au pays de l’enfance.

 

Avez-vous découvert un nouveau rythme, de nouveaux rituels liés à l’écriture ? 

 

Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi chronophage. Je n’aurais jamais imaginé que je pourrais passer des heures et des heures sur un mot ou des semaines sur un paragraphe et en même temps de ne pas avoir le sentiment du temps qui passe. C’est vraiment une expérience du temps très différente du théâtre et encore plus du cinéma. 

 

Vous sentez-vous un peu écrivain à présent ?

 

Je me sens complètement débutante, je n’ai pas acquis de certitudes. Dans mon métier d’actrice non plus. Pour Les Rêveurs d’autant plus parce que c’est une première et que c’est une histoire que j’ai en tête depuis si longtemps. 

 

Vous avez donc un second livre en tête ? 

 

J'ai plusieurs histoires en tête dont une qui se précise un peu. La seule chose qui me manque en ce moment c’est du temps. Je joue au théâtre, j’ai commencé un tournage hier, j’ai trois enfants … Pourtant j’ai envie de pousser les projets comme les murs d’une maison trop petite. Il faut que je sois patiente. Dès que je peux, je me jette dessus. 

 

Vous écrivez depuis longtemps ?

 

J’ai écrit beaucoup à partir de 7-10 ans à peu près jusqu’à l’âge de 27 ans et à 27-30 ans, j’ai arrêté quasiment complètement à part ces petites tentatives régulières de revenir à ce roman. 

 

Qu’écriviez-vous ?

 

Des nouvelles, des poésies, un journal… des choses assez différentes. 

 

Les avez-vous conservés ? 

 

Oui et je les ai utilisés pour le livre. Les journaux de l’hôpital psychiatrique sont bien les journaux de l’hôpital psychiatrique. Mais je ne les avais jamais rouverts auparavant. Ça a été très émouvant de le faire. 

 

L’un des sujets du livre a fait beaucoup parler dans les médias au moment de la sortie du livre. C’est la découverte de l’homosexualité du père… 

 

J’ai été assez surprise que les journalistes en parlent autant et je pense que ça raconte bien là où on en est aujourd’hui, le regard qu’on peut porter sur l’homosexualité et surtout sur les parents homosexuels. J’avais beaucoup aimé le livre de Christophe Honoré, Ton père, où il raconte son expérience de père homosexuel. Il disait que c’était une figure qui n’existait pas dans la littérature, au cinéma, à la télé, dans les interviews à à la radio. On en parle mais dans des moments de tension, de débat social. J’espère qu’on atteindra un jour la banalité avec laquelle j’en parle car c’est très important pour les enfants de ne pas être stigmatisés comme c’est le cas encore aujourd’hui. Finalement, j’aurais trouvé rassurant que ça ne reste qu’une partie du livre dans les esprits comme c’est le cas et que ça ne prenne pas autant d’importance dans le sens où pour moi c’est un non-événement. 

 

C’est peut-être venant d’une personnalité comme vous que cela a surpris… 

 

Oui, le fameux "discrète et lumineuse"… Le fait d’écrire un roman aux accents autobiographiques a surpris sans doute. Je m’amuse un peu de cette image. C’est aussi pour ça que je n’ai pas voulu changer de nom ni me protéger plus que ça. Car le thème du livre c’est aussi l’image qu’on donne aux autres et c’est encore plus fort quand on est comédienne, qu’on a une image sociale ou un métier de représentation. C’est le thème central du livre pour moi. C’est quelque chose d’universel et peut-être que les gens se retrouvent dans cette distance-là qu’ils vivent eux-mêmes entre ce qu’ils donnent à voir et ce qu’ils ont au fond d’eux-même. 

 

Quels sont vos auteurs de référence et qui ont peut-être nourri ce livre ?

 

J’aurais beaucoup de mal à dire ce qui a pu m’inspirer pour écrire ce livre puisque c’est une histoire malgré tout intime. Dans la première partie, Pantin, dans mes rêves les plus fous je pensais à des livres de Jane Austen avec ce côté un peu classique presque anglais. J’avais envie qu’il y ait ce style-là dans l’écriture et de changer de style après dans les autres chapitres, de rentrer dans, j’espérais, plus de modernité avec des phrases plus courtes, le passage au "je ", d’avoir un côté moins romanesque dans le récit, quelque chose de plus sec, de plus violent même parfois. J’adore les romans de Patrick Modiano. Peut-être peut-on retrouver cette opacité avec cette enquête dans les limbes du passé. 

 

Vous citez Alice de Lewis Carroll au milieu du roman… 

 

Oui, j’aime beaucoup cette écriture-là parce qu’elle s’autorise tous les débordements de l’imagination et en même temps elle parle merveilleusement de cette difficulté à grandir quand on est adolescent. On aimerait rester petit et être en même temps immense pour être plus solide face au monde des adultes comme Alice au Pays des merveilles qui passe son temps à rapetisser et à grandir et qui ne comprend pas ce qui se passe dans son corps. 

 

Votre famille a-t-elle lu le livre ? 

 

Oui et la première réaction a vraiment été de la surprise face à l’écriture. Ce n’est pas la réalité donc ils ne s’y reconnaissent pas mais ils sont troublés car dans ce drôle de miroir, ils ne retrouvent pas non plus leurs références. 

 

Sont-ils fiers de vous ? 

 

Je pense. Je crois que dans toutes les familles il y a toujours quelqu’un qui est là pour être la mémoire de la famille, qui enregistre tous les détails. Je me demande si je n’ai pas moi-même pris ce rôle-là. 

 

Et êtes-vous fière de vous ? 

 

Je suis surtout heureuse d’être allée au bout de ce que je voulais faire. Le rêve, ce n’est pas seulement de trouver le théâtre et donc un endroit où exprimer mes émotions comme je le raconte dans le livre. Tous ces rêveurs du titre finissent pas trouver une place et j’en ai trouvé une autre moi aussi. En tout cas, j’ai été au bout d’un autre rêve avec l’écriture de ce livre. 

 

Propos recueillis par Noémie Sudre 

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