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04 Septembre 2015

Simon Liberati/"Eva" : les rescapés de l’amour

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Simon Liberati signe l’un des romans les plus beaux de cette rentrée avec Eva (Stock), récit baroque et intime de ses chassé-croisé amoureux avec la sulfureuse Eva Ionesco, son épouse depuis quelques mois. Une magnifique variation littéraire sur la rédemption par l’amour et les replis du temps. 

Simon Liberati en un clin d’œil :

Simon Liberati est l’auteur de cinq livres dont Jayne Mansfield, 1967 (Grasset), prix Femina 2011.

Pourquoi on aime Eva

 

Simon Liberati est de ces romanciers romantiques et collectionneurs hérités d’un siècle ou les Huysmans et Mallarmé régnaient sur les lettres françaises. Il faut bien en convenir : c’est donc comme par un merveilleux sortilège ou par un de ces hasards objectifs chers à André Breton que la vie a jeté dans ses bras une femme aussi romanesque que celle qui donne son titre à Eva (Stock).

 

On entre dans ce très beau livre en accompagnant Liberati dans sa sidération, celle d’avoir trouvé, ou plutôt retrouvé Eva Ionesco, sa "petite fée surgie de l’arrière-monde". Puis c’est un autre sentiment qui guide la lecture, celui de se promener dans un drôle de pays des merveilles, un livre "pop-up" sur les pas d’une Alice turbulente, terrible, émouvante au plus haut point, un être composite entre – bien sûr - la Lolita de Nabokov, la Justine de Sade, la nymphe et la sorcière.

 

Leur première rencontre en 1979, Simon Liberati l’a déjà racontée maintes et maintes fois dans les médias depuis la sortie de son roman : elle a 13 ans, lui 19, elle est déjà l’enfant terrible qui pose nue pour sa mère alors qu’elle joue encore à la poupée Barbie, s’oublie dans la débauche du Paris nocturne et le traite lui et ses amis de "connards" pour une sombre histoire de carburant. Le souvenir de cette brève et fulgurante interaction nourrira, vingt-cinq ans plus tard le personnage de Marina sous la plume de Liberati dans Anthologie des apparitions. A ce moment de sa vie, elle ne s’est plus donnée à lui que sous la forme d’une photo prise un soir par un paparazzi et devenue, à l’occasion de cette rentrée littéraire, la jaquette d’un livre. En 2013, ils se recroisent pour ne plus jamais se quitter et même sceller leur union par le mariage. A l’aube de la cinquantaine, deux enfants perdus viennent de se sauver l’un l’autre par un jeu de signes fou, un jeu morbide et magnifique à donner le tournis.

 

Trois mois après leur re-rencontre, Liberati entreprend la rédaction d’Eva alors qu’ils écrivent des scénari à quatre mains. Page 102, voilà le lecteur rassuré : il s’agit d’une entreprise conjointe. La petite fille dévoyée par l’objectif de sa mère dans des poses lascives (drôle d’enfance racontée dans le film My Little princess), est en pleine entreprise de réparation par le crible de l’amour et de la littérature. Le récit de ses vagabondages et de ses défonces nocturnes dans le Paris des années Palace puis à Saint-Tropez en passant par New York n’a alors rien de voyeur. Au contraire, il permet de relier deux âmes sœurs qui se trouvent avoir eu les mêmes amours, les mêmes figures tutélaires (Jayne Mansfield), les mêmes habitudes débauchées…

 

Et parmi les plus belles pages de ce roman, il y a également les nombreuses descriptions d’Eva aussi baroques et chamarrées que la femme semble être multiple et changeante. Ces séquences à la charge érotique très forte sont d’autant plus émouvantes qu’elles livrent enfin une femme de chair et d’humeurs, loin du stéréotype de son enfance. Liberati en parle comme d’une "lolita qui a su garder la flamme" et la fascination qu’il a pour elle, pour son intelligence, son sens esthétique, son côté désormais terrien, ferait presque trembler sa main d’émotion. 

 

Femme-objet dès son plus jeune âge, Eva Ionesco devait devenir un objet nouveau, littéraire et amoureux cette fois, pour a priori trouver la paix. Quant à Simon Liberati, il lui fallait ouvrir une porte sur un autre monde pour accéder enfin à un quotidien bienheureux. 

 

La page à corner : 

Parmi toutes les descriptions d’Eva, il y a celle, fondatrice, de la re-rencontre en 2013 :

"Eva était vêtue ce soir-là d’une chemise de soie noire qui découvrait presque entièrement deux énormes seins nus. Elle transpirait et je pouvais sentir son odeur à distance. Comme ces femmes saoules de Georges Bataille qui s’effondrent soudain, ces mères indignes qui vomissent sur les tapis des grands hôtels, je la voyais osciller sur sa chaise, les yeux rivés dans les miens tel un fakir ou quelqu’un qui s’apprête à vous mettre son poing dans la figure. Son épaississement lui donnait un poids particulier, une qualité de relief d’une sensualité presque pornographique qui se traduisait par ce léger ébranlement qui lui faisait frotter ses cuisses l’une contre l’autre pour ne pas tomber, une manière de masturbation discrète qui rendait sa chair plus moite et plus odorante. Comme toujours, elle n’était pas soignée, rien à voir avec les femmes-poupées que je fréquentais alors. Le cheveu frisottait, le maquillage ne bavait pas mais donnait une impression de flou sur cette chair qui semblait faite de l’argile des premiers jours de la Genèse. Jamais le prénom d’Eve ne parut si bien porté. Il y avait quelque chose en elle de l’épouse, de la ménagère, de la mégère, de la femme en couche, de la stryge et de la nymphe.

L’enfant d’autrefois, enfermé dans ce corps de Junon, n’allait pas tarder à apparaître, peut-être était-ce lui qui agitait d’un mouvement étrange presque comique les deux petits sourcils blonds, pauvres comme les herbes du bord de mer, au-dessus de l’eau trouble de ce regard. Une transe singulière agitait ses sourcils qui faisaient bouger la chair blanche et rose, un peu figée, du front. Remué par les sourcils, le glauque de l’iris semblait osciller, scintiller telle la surface de la mer. Parfois je baissais les yeux ou je les détournais pour m’adresser à quelqu’un d’autre, car nous étions encore plusieurs à table malgré l’heure tardive, et quand je me retournais, les yeux d’Eva étaient toujours là, posés dans les miens avec une fixité, une détermination mortelle qui m’auraient fait trembler si je n’avais pas été sûr de moi, sûr de l’embrasser tout à l’heure, de l’aimer toujours et de finir ma vie avec elle. A ce moment, j’ai su que nous ne nous quitterions plus.", pp. 56-57. 

 

Eva dans la presse :

 

"C’est là toute la beauté vénéneuse mais aussi toute l’aura romantique, presque gothique, d’un roman qui parvient à capturer et à restituer ce qu’il y a peut-être de plus difficile : les filets entremêlés du temps, qui nous prennent au piège à notre insu (…)", Nelly Kaprièlian, Les Inrockuptibles.

 

"(…) Simon Liberati démêle très bien ce qui a trait à la société, à l’histoire des représentations (…), et ce qui relève de la pathologie familiale chez les Ionesco (…)", Claire Devarrieux, Libération.

 

"Et comme il n’est pas de bon portrait qui ne soit un bon autoportrait, on en apprend autant, dans ce livre abrasif et inflammable, sur Eva que sur Simon", Jérôme Garcin, L’Obs.

 

"Un amour comme un vœu sacré, comme un enchantement dans lequel il a trouvé sa propre rédemption", Nathalie Crom, Télérama.

 

"Féerie, pour une fois. Avec Eva, Simon Liberati nous permet de croire au retour de la chance et à la survivance des nymphes", Oriane Jeancourt-Galignani, Transfuge.

 

Noémie Sudre

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