Delphine de Vigan en un clin d'oeil :
Delphine de Vigan est née en 1966. Romancière, elle a reçu de nombreux prix pour ses livres comme No et moi (JC Lattès).
Pourquoi on aime "Rien ne s'oppose à la nuit" :
Rien ne s’oppose à la nuit, dit le titre – emprunté à la chanson de Bashung, "Osez Joséphine" – du nouveau roman de Delphine de Vigan. Rien, pas même la beauté de cette femme du monde, qu’on voit en couverture et qui tient nonchalamment une cigarette entre ses doigts. Cette femme, c’est Lucile, la mère de la romancière. Elle a préféré embrasser la nuit, à soixante et un ans, plutôt que de continuer à vivre. Le livre s’ouvre sur la découverte de son corps inerte, ses doigts bleus, et le cri de la fille qui vient de comprendre qu’elle a perdu sa mère. Cette mort brutale, en 2008, a fait naître en Delphine de Vigan un besoin irrépressible de raconter l’histoire de Lucile, pour percer le mystère de sa vie chaotique, le mal dont elle souffrait – elle était maniaco-dépressive - mais aussi, et surtout, celle de sa famille. Lucile est née en 1946 dans une smala pleine de couleurs et de gaieté. Liane, sa mère, voulait douze enfants, elle en aura neuf, parmi lesquels trois seront voués à une mort précoce. Il y a un charme fascinant qui plane sur le clan Poirier, le désordre de leur appartement, l’insouciance, les problèmes d’argent qu’on règle au petit bonheur, les étés à Pierremont, dans l’Yonne. Les parents sont drôles, les enfants beaux, talentueux pour les coups, les ruses et les farces.
Mais derrière ce joyeux foutoir, on sent pointer le malaise – c’est par exemple Lucile qu’on fait poser dans les magazines, et qui devient une enfant vedette, et une opportunité en or pour une famille qui tire le diable par la queue... La tragédie aussi est là, partout. La mort d’Antonin, qui jouait sans surveillance, ouvre le bal des malheurs. Est-ce l’insouciance des parents, et ce système imparfait selon lequel, dans la fratrie, les grands s’occupent des petits, qui a tué Antonin ? On tremble parfois, quand on voit Liane, épuisée par ses grossesses, laissant seule sa marmaille pour filer au cinéma. Après la mort d’Antonin, les Poirier recueillent un enfant "martyre", Jean-Marc, qui était maltraité par ses parents. Le malaise, à nouveau, étreint le lecteur.
Cet enfant est-il là pour remplacer celui qui n’est plus ? Lui aussi, on finira par le retrouver sans vie dans son lit, asphyxié. Suicidé ? Delphine de Vigan a mené un vrai travail de journaliste familial, pour répondre à cette question qui l’obsède : quelle est l’origine du mal de Lucile ? Elle a interrogé ses oncles et tantes, sa sœur, écouté des enregistrements de son grand-père, lu les lettres qu’écrivait sa mère, lorsqu’elle était jeune mariée, et qu’elle l’attendait. Elle avait alors dix-huit ans. De temps à autre, Delphine de Vigan nous livre ses difficultés d’écrivain – elle a conscience de s’aventurer sur un terrain "casse-gueule" - et la peur de décevoir ou chagriner sa famille. Le résultat est beau, troublant, haletant, et plein d’un lumineux optimisme.
Astrid Gagneur