Annie Proulx en un clin d’œil :
Icône de la littérature des grands espaces (nature writing), l’Américaine Annie Proulx est notamment l’auteur de la nouvelle Brokeback Mountain (1998), publiée dans le recueil Les Pieds dans la boue. Lire la biogrpahie d'Annie Proulx.
Pourquoi on aime "Bird Cloud" :
"C’est ici que je finirai mes jours. C’est du moins ce que je me plais à penser." Ici, c’est Bird Cloud, le ranch à moutons abandonné qu’Annie Proulx acquiert en 2003. Elle qui s’interroge sur son histoire familiale, sur une filiation trouble marquée par l’émigration et le racisme envers les acadiens, voudrait bien poser ses racines dans la maison de ses rêves. Mais le terrain isolé est hostile sous sa falaise rocheuse que sculpte des vents violents. Et la route est longue qui mène du projet esquissé à la solide bâtisse. Conception et construction, les impairs et les déceptions, les intempéries et l’isolement, "les retards et les atermoiements" s’enchaînent. Annie Proulx les passe par le détail, non sans humour, accumulant pertes et profits, listant le trivial - contraintes techniques et soucis de décoration - pour mieux révéler la majesté du décor naturel qui a si bien nourri sa prose. Un décor qui, elle le découvrira, porte la trace du passage des indiens et abrite les multiples espèces d’oiseaux qu’elle aime tant observer.
Tout en construisant son nid, aidée d’une fratrie d’entrepreneurs pittoresques, Annie Proulx concède quelques souvenirs. Les histoires glanées de ses ancêtres de Nouvelle-Angleterre, les parents fantasques et bien trempés, elle les griffonne succinctement dans un tableau impressionniste où elle s’incarne peu à peu, revêche et obstinée. Ils sont autant de fragments héréditaires qui légitiment sa créativité - "la musique, les arts et l’artisanat étaient très présents au sein de notre clan" - ou encore sa nature erratique - "nous déménagions sans cesse". L’histoire de cette terre du Wyoming où Annie Proulx s’installe, de sa faune et de sa flore, répond alors à la légende familiale pour faire de ces mémoires tout en retenue une aventure intime et écologique. A Bird Cloud, comme à sa généalogie, Annie Proulx entend rendre ses couleurs. "La terre répond généreusement aux soins qui lui sont apportés, aussi infimes soient-ils. Toute une vie ne serait pas de trop pour la voir renaître."
On pense à Thoreau, bien sûr, à ses longues descriptions de la cabane de Walden. Et à Emerson, son condisciple, le père du transcendantalisme américain. Dans son essai Nature, il évoque non seulement les ressources matérielles mais surtout la dimension spirituelle du paysage, cette "propriété à l’horizon que personne ne possède, sauf celui dont l’œil est capable d’intégrer toutes les parties, c’est à dire le poète". Bird Cloud esquisse le portrait d’une des plus dignes héritières de cet idéal. Des racines qui se sont finalement ancrées dans une terre sauvage et rugueuse. A son image.
La page à corner :
Tombée amoureuse de Bird Cloud avant d’y faire construire sa maison, Annie Proulx explique la démarche qui guide son projet de construction en harmonie avec les éléments : "Parce que l’endroit où j’habite a une influence majeure sur mon écriture et ma vie, je pensais qu’il était essentiel que Bird Cloud respire à l’unisson avec la nature, qu’elle soit façonnée par le vent, mais aussi par les ombres enveloppantes qui tous les soirs engloutissaient le paysage, par le pan de lumière vive à l’extrémité est de la falaise. Je désirais des jeux de lumière captivants, des percées étroites mais aussi de vastes baies vitrées où se déploierait la falaise, énorme et majestueuse."
Thomas Flamerion
