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À seulement 38 ans, Émilie de Turckheim est déjà l’auteure de plus d’une dizaine de livres. Avec "Le Prince à la petite tasse" (Calmann-Lévy), journal d’une année de cohabitation avec un jeune réfugié afghan, elle confirme son statut d’écrivaine à la main tendue, après avoir notamment écrit sur son expérience de visiteuse de prison.

Émilie de Turckheim : l'écrivaine à la main tendue
 

Vers quoi tendre la main en 2018 ? Si l’on dressait des statistiques pour répondre à cette question, le smartphone arriverait sans doute en première position. La main d’Émilie de Turckheim, elle, se tend pour prendre la plume – c’est une écrivaine - mais aussi vers autrui et ce, souvent dans le même geste. Un geste à la fois romanesque et poétique pour faire un pont entre réel et littérature. 

 

"Les plus belles choses de ma vie, je les ai toujours faites à l’instinct"

 

Son dernier ouvrage, Le Prince à la petite tasse, paru à la rentrée littéraire chez Calmann-Lévy (et dont elle était venue nous parler), confirme ce geste. Émilie de Turckheim tient un journal depuis ses 12 ans et a fait le choix, comme une évidence, d’en publier une partie décisive relatant une année particulière dans sa vie et celle de sa famille. Début 2017, elle fait à son mari, Fabrice, et leurs deux enfants, Marius et Noé, cette proposition qui ne va pourtant pas de soi quand on vit dans le VIe arrondissement de Paris : "Ils sont des milliers à dormir dehors. Quelqu’un pourrait habiter chez nous, peut-être ?" C’est ainsi, sans trop se poser de questions, qu’ils accueillent, Reza, 21 ans, essoré par un dangereux périple entre son pays natal, l’Afghanistan, et la Norvège en passant par la Grèce et les Balkans avant d’atterrir en France. Les soubresauts et la douceur de la rencontre avec l’autre, les discussions interminables sur la langue, l’appréhension du rythme, des habitudes et de la culture d’un étranger sont racontés ici avec une humanité rare et une bonne dose de poésie. Quand le magazine ELLE lui demande ce qui a motivé cet élan un peu fou aboutissant à livrer sa confiance à un inconnu, l’autrice répond : "Les plus belles choses de ma vie, je les ai toujours faites sans réfléchir, à l’instinct. (…) Je crois plus que tout qu’il faut aller au bout de ses désirs."

 

"Questionner l’ambigüité, la fragilité de nos actions généreuses"

 

L’altruisme et l’impétuosité : deux qualités qui ont sans doute guidé ses choix dans la vie, qu’ils soient d’ordre personnels ou professionnels. Née à Lyon en 1980, Émilie de Turckheim (cousine notamment de Charlotte, la comédienne) s’oriente très vite vers la sociologie à Sciences-Po qu’elle a intégré après une licence de droit. Entre 2005 et 2007, elle mène des recherches dans le cadre d’une thèse sur la sexualité des jeunes gays et leurs comportements de prévention vis à vis du VIH. Dès 2002, à seulement 22 ans, elle commence à enseigner le français et l’anglais dans le milieu carcéral avant de devenir visiteuse de prison à partir de 2004. De ces relations complexes développées au parloir avec les détenus, elle tire une matière romanesque indéniable qui viendra nourrir plusieurs écrits notamment Les Pendus en 2008 et Une Sainte en 2013 (Héloïse d’Ormesson / Le Livre de Poche), un roman dans lequel elle interroge "l’ambigüité, la fragilité de nos actions généreuses" (France Info). Car, il faut le dire : l’écriture d’Émilie de Turckheim n’a rien de facile, ni de facilement généreux. Si le don de soi et l’écriture s’entremêlent autant chez elle, c’est avant tout pour brasser des questions éthiques et philosophiques et s’interroger sur les existences quelles qu’elles soient contrairement à ce que fait la société qui, selon elle, efface, uniformise les êtres. Récemment, dans Popcorn melody (Héloïse d’Ormesson, 2015 / Le Livre de Poche 2017), elle posait encore une fois sur ses personnages un regard d’une douceur infinie et questionnait au passage le sort fait aux Amérindiens. "La colère et l’enjeu politique, sociétal, moral qui m’ont poussée à faire cette démarche (accueillir Reza, ndlr), il y a un an, sont intacts", indique-t-elle (ELLE).  

 

Prolixité, imagination, ubiquité

 

De cette propension à se glisser dans différentes peaux, à adopter différentes voix, Émilie de Turckheim a bâti une œuvre déjà fort impressionnante. Après un premier roman publié à 24 ans - Les Amants terrestres (Le Cherche midi) - elle reçoit le Prix de la vocation en 2009 pour Chute libre (éditions du Rocher) et le prix Bel Ami en 2012 pour Héloïse est chauve paru chez Héloïse d’Ormesson. À ce jour, elle a publié pas moins de six romans chez cette éditrice (la plupart étant disponibles au Livre de Poche), le dernier en date étant L’Enlèvement des Sabines paru en janvier dernier où elle s’attache avec facétie à démonter la mécanique des rapports de force dans le couple. 

 

L’écriture chevillée au corps 

 

Beaucoup de choses partent également du corps et du ventre chez de Turckheim. De ce creux intime qui abrite tout à la fois la rage, le rire, le désir et l’enfantement, sont nés plusieurs ouvrages très intimes mêlant toujours l’élégance à la drôlerie. La Femme à modeler (Naïve, 2012), récit personnel et poétique inspiré de son expérience de modèle vivant pour des peintres et des sculpteurs, nous plonge dans un abîme d’introspection entre pudeur et déshinibition. En 2015, elle recevait le prix Roger Nimier pour La Disparition du nombril, un roman malicieux, littéralement mu de l’intérieur puisqu’il s’attache à décrire la grossesse d’Émilie, du deuxième au neuvième mois. Une maternité qui aura probablement motivé en 2013 l’écriture de deux albums jeunesse : Mamie Antoinette et Jules et César (Naïve), une épopée à hauteur de tête blonde inspirée par ses deux garçons.

 

"Avoir comme monde entier son propre corps"

 

Et contre toute attente, le corps est aussi très présent Le Prince à la petite tasse, dès le titre, référence directe à la sensibilité de la princesse du conte. Pour décrire le fossé qui les sépare, au-delà de la langue ou de la culture, l’autrice écrit "le corps de Reza (…) sait ce que mon corps ne sait pas. Il sait ce que fuir veut dire. Avoir le corps pour seul abri. Avoir comme monde entier son propre corps." Car au terme de "migrants" elle préfère cette périphrase : "ceux qui partagent dans leur corps le secret de la fuite et la force de se sauver". L’écriture d’Émilie de Turckheim c'est en somme deux élans qui se rencontrent, deux gestes en tension perpétuelle : le ventre qui éprouve, la main qui se tend et celui qui la prend qu’il soit personnage ou lecteur.  

 

Noémie Sudre

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Émilie de Turckheim présente "Le Prince à la petite tasse"

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