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09 Février 2018

Céline Denjean : "Mon personnage central, quand je construis un livre, c’est le méchant"

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Céline Denjean

Auteure de thrillers riches et haletants, Céline Denjean a répondu à nos questions à l'occasion de la parution de son nouveau Le Cheptel aux éditions Marabout. Un livre dans lequel l'auteure exprime toute la richesse de son univers, qui puise ses influences aussi bien dans le thriller, que dans le fantastique, la littérature et le roman d'anticipation. 

En Lozère, un cadavre découvert semble avoir fait l'objet d'une chasse à l'homme. Après expertise médico-légale, il apparaît que la victime fait partie d'une longue série vieille de vingt-cinq ans, qu'Interpol suspecte d'être liée à du trafic d'êtres humains. Récit chorale et à tiroirs, Le Cheptel est un thriller riche qui sort des sentiers battus du genre, pour mieux explorer plusieurs thématiques comme celle de la manipulation d'un groupe, ou du rapport de tout un chacun à son héritage culturel. Son auteure, Céline Denjean, a accepté de répondre à nos questions pour nous parler de son processus de création, de ses choix d'écriture, ainsi que des influences qui font la richesse de son texte.

 

Hachette.fr : Le Cheptel est un livre complexe, à tiroirs, comportant de nombreuses voix différentes. Tu avais l'idée d'écrire ce titre ainsi dès le départ ?
Céline Denjean : Quand j’écris, j’ai, en général, une intrigue ou des thèmes sur lesquels je veux travailler. C’est pour ça que je construis divers personnages avec leurs histoires propres, pour que chacun d’entre eux amène une pièce pour construire le puzzle global. Ce n’est pas une construction littéraire linéaire classique, c’est fragmenté. Et puis j’aime bien mettre le lecteur dans une position active de recherche de sens. Il y a des indices disséminés, et c’est à lui d’assembler l’intrigue. 

Hachette.fr : Le livre aborde des sujets très graves, notamment le trafic d’êtres humains. C’était ça l’idée directrice originelle, d'utiliser le thriller pour aborder des thèmes profonds ?
Céline Denjean : Dans la conception, j’avais vraiment eu envie de traiter de la question de la manipulation, en questionnant notre sens critique, notre capacité à se dégager de certaines influences, et jusqu’à quel point tout cela est lié à des apprentissages de base.  C’est comme ça qu’est venue cette idée de communauté sous l’emprise. Après, forcément, quand on est dans une recherche de crédibilité, d’une histoire qui tient la route, il faut se demander d’où la communauté pourrait venir, quelles seraient ses origines et d’où elle aurait pu naître. À partir de là, la trame du livre se construit, va piocher dans l’Histoire, mais l’idée de base était vraiment celle d’un groupe manipulé, vierge de tout héritage culturel et sociétal. 

Hachette.fr : J'aime beaucoup le fait que tu ailles puiser à la fois dans l'Histoire, à la fois dans notre culture populaire via de nombreuses références...
Céline Denjean : Dès le départ, évidemment, il y a un thème. Mais il faut qu’il soit incarné, qu’il ait un sens et une raison d’être. Quand je construis mes livres, le personnage central, c’est le méchant. Les personnages créés parallèlement, je les crée pour apporter un fragment de l’histoire. Mais ce méchant, qui sert de point d’ancrage, je me demande qui il (ou elle) est, d’où il (ou elle) vient, comment il (ou elle) s’est construite, et pourquoi il (ou elle) fait ça. Là, son portrait commence à être brossé. Comme j’avais déjà entendu parler du trafic d’êtres humains, je me suis dit que ce serait une piste intéressante, et je l’ai incorporé. En creusant la réalité, on tombe sur des histoires vraiment sordides, parfois pires que celles déjà horribles que l’on a incorporées. Quand j’ai un thème en tête, j’essaye de l’utiliser de manière crédible, de le rapporter à mon histoire, à mon intrigue. Ce n’est pas une vue globale sur le sujet du trafic d’humains, mais comme ce thème est abordé, je vais aller compiler des articles et témoignages, et tout ce que je peux trouver, pour nourrir l’intrigue.

Hachette.fr : Le récit joue beaucoup avec les subjectivités. Il y a un effet recherché derrière ça ?
Céline Denjean : C’est marrant cette question, parce que pour moi il n’y avait aucun effet recherché justement. En revanche, ce qui est intéressant, c’est comment le lecteur s’approprie ces modes d’expression. J’ai eu plusieurs retours identiques de lecteurs sur la petite-fille s’exprimant à la deuxième personne, comme si cela trahissait certains aspects de sa personnalité, sa place dans le cheptel. Mais pour moi, quand j’ai écrit ce « tu », je voulais qu’elle s’adresse directement au lecteur, que ce soit une interpellation. Je trouve que le « tu » permet aux lecteurs de se transposer plus facilement dans l’histoire qu’elle raconte. Mais peut-être que je suis passée à côté de mon intention, et que cela laisse la place à une autre interprétation. Plus généralement, je trouvais intéressant de porter chaque récit autrement que par le style narratif classique, et que le changement de perspective différencie bien les personnages.

Hachette.fr : Parmi ces personnages, il y a ce notaire qui ouvre l’histoire, et qui découvre son propre acte de décès, ce qui est très troublant…
Sa problématique a lui, c’est de savoir qui il est. Quand à soixante-douze ans, il découvre ne pas être celui qu‘il pensait être, on peut imaginer que ce personnage a construit sa vie d’une manière spécifique, et qu’elle aurait pu être différente s’il avait su qui il était vraiment. Quand il découvre ça, tous les fondements de son histoire s’effritent. Au travers du récit, il raconte sa difficulté d’attachement, la manière qu’il a eu de ne pas pouvoir s’investir dans la relation aux autres. Du coup, ce personnage est dans une subjectivité très spécifique, car il se rend compte que la vie qu’il a vécu ne lui a jamais appartenu.

Hachette.fr : On sent chez toi des influences allant de la littérature classique à la science-fiction, par exemple dans le rapport des personnages à leur environnement. D’ailleurs, tu cites le film The Island, qui possède une problématique proche, quoique bien distincte. Est-ce quelque chose dont tu es consciente ?
Je suis un grande fan de science-fiction, et c’est vrai qu’on subit toujours des influences. Vu que j’aime beaucoup l’anticipation, il est possible que ça ait laissé quelque chose en moi, dans ma manière de regarder une situation. Il y a aussi le film Le Village qui est évoqué dans le livre, et qui démarre dans une ambiance plutôt orientée fantastique. Mais ce n’est pas une volonté, juste une culture qui s’exprime. Je suis aussi une grande fan de Brassens, c'est un père fondateur qui m'a autant éduquée que mes propres parents. Étant très éclectique, j'adore des choses qui n'ont rien à voir les unes avec les autres, de Maupassant à Despentes. Alors, cela doit se ressentir dans ma façon d'aborder les histoires, forcément.

 

Propos recueillis par Y. Cz.

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