Du haut de ses tours, plus de huit siècles continuent heureusement de nous contempler. Rongée par les flammes pendant une nuit entière, elle a bien failli nous lâcher le lundi 15 avril dernier mais Notre-Dame de Paris a tenu bon malgré l’effondrement spectaculaire de sa flèche et la destruction de ses combles ancestraux. Dès les premières flammes, l’émotion fut grande et dès le lendemain du sinistre et une fois la structure préservée, les esprits étaient déjà à la reconstruction. Deux sentiments qui se conjuguent en librairie et en ligne où le célèbre roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, publié en 1831 connaissait un regain d’intérêt surprenant – numéro un des ventes sur Amazon le 16 avril, il figure toujours dans le top 15.
L’édition au service de la reconstruction de Notre-Dame de Paris
Ce n’est pas la première fois que l’on trouve une sorte de consolation dans la littérature : souvenons-nous du succès de Paris est une fête d’Ernest Hemingway suite aux attentats de novembre 2015. Aujourd’hui, le regain d’intérêt pour le chef-d’œuvre de Hugo peut avoir un impact réel sur l’avenir de la cathédrale puisque de nombreux éditeurs ont décidé de reverser tout ou partie des bénéfices de ces ventes à sa reconstruction. Le Livre de Poche, dont le livre figure au catalogue depuis 1975 et a été réimprimé la semaine dernière, reversera un euro sur chaque vente à l’un des établissements ou fondations d’utilité publique mis en place suite à l’incendie. De son côté, E/P/A, éditeur de beaux livres, rééditera le 10 mai l’ouvrage Notre-Dame Cathédrale éternelle dont tous les bénéfices seront reversés à la collecte nationale organisée conjointement par l’État et la Fondation du patrimoine.
Notre-Dame de Paris de Victor Hugo : un roman fondateur de la préservation du patrimoine en France
Le roman gothique de Victor Hugo poursuit donc encore aujourd’hui la mission qui lui avait été assignée dès sa genèse : contribuer à la préservation du patrimoine historique français. Petit retour au début du XIXe siècle… Dans un contexte post-révolutionnaire, de très nombreuses destructions sont en partie légitimées par l’idée qu’il faut faire table rase des manifestations matérielles liés à l’ancien régime. Il faudra attendre quasiment les années 1830 pour que les premières institutions liées à la préservation du patrimoine voient le jour sous l’impulsion de Guizot alors ministre de l’Intérieur. Victor Hugo, n’ayant jamais caché son intérêt pour cette question, est appelé à siéger au Comité historique des monuments et des arts. C’est alors que l’éditeur Gosselin lui commande un roman gothique sur le modèle de Walter Scott, à même de combler les attentes d’un lectorat avide de représentations historiques. Dans un mouvement mimétique de son sujet, le roman monumental consacré à Notre-Dame verra le jour au prix d’un véritable chantier par éditions successives et ajouts de plusieurs chapitres explicitement dédiés à théoriser le patrimoine et à le défendre, dans un élan tout aussi poétique que didactique. Plus qu’un simple décor de roman, la cathédrale est un véritable personnage de l’histoire et un symbole appelant de ses deux yeux béants les lecteurs à une prise de conscience nationale et collective. Pari gagné pour Hugo, son éditeur et les pouvoirs publics puisque le succès du roman provoquera dans une large part le mouvement d’idées qui aboutira en 1843 à la restauration de la cathédrale et à la construction par Viollet-le-Duc de la flèche que l’on a vu s’effondrer le 15 avril. Entre autres clin d’œil directs à l’œuvre de Hugo, l’architecte ajoutera même à son plan de restauration plusieurs statues dont, en souvenir de Quasimodo, le Stryge, célèbre gargouille encore aujourd’hui encore l’un des emblèmes de la cathédrale. Votée seulement en 1887 soit deux ans après la mort de Victor Hugo, la loi sur la protection générale des monuments ne manquera pas de rappeler le rôle fondamental du roman dans cette mission.
Le Stryge imaginé par Viollet-le-Duc en souvenir de Quasimodo lors du plan de restauration de 1843-1864.
Nous sommes en 2019 et le symbole de Notre-Dame de Paris forgé par le texte de Victor Hugo est visiblement encore durablement imprimé dans l’inconscient collectif.
Noémie Sudre