C’est l’histoire d’un massacre oublié. D’un génocide - "le premier du XXe siècle" - volontairement occulté de l’Histoire. Entre 1904 et 1908, l’Allemagne extermina 65 000 Héréros et 20 000 Namas, deux peuples originaires du "sud-ouest africain", en actuelle Namibie. Un carnage répertorié par un unique rapport officiel – le "Blue Book" – commandé en 1926 par l'Angleterre au juge Thomas O'Reilly et qui expose en détails les atrocités commises par les soldats allemands, emmenés par leurs différents gouverneurs dont un certain Heinrich Göring, père d’Hermann Göring, futur bras droit d’Hitler.
"Raconter cette histoire, totalement méconnue du grand public"
Travaux forcés, viols, lynchages, meurtres… Ce "Blue Book" contient, selon Thomas O'Reilly, assez de témoignages "pour faire se dresser d'horreur les cheveux des plus endurcis". Alors que l’on pensait le document définitivement perdu, il aura fallu toute la ténacité et le talent d’enquêtrice d’Elise Fontenaille-N’Diaye pour le retrouver et le soumettre au devoir de mémoire : "C’est un épisode totalement ahurissant, nous souffle la romancière. Le sud-ouest africain a été le théâtre d’une macabre répétition générale aujourd’hui totalement méconnue. La Namibie est une sorte de triangle des Bermudes oublié ! Mon objectif était donc de raconter cette histoire, ignorée du grand public", nous explique-t-elle.
Dans cet ouvrage sobrement intitulé Blue Book (Calmann-Levy), l’auteur de Ma vie précaire ranime le souvenir des atrocités du colonialisme en dressant, à partir de nombreux extraits de journaux et de photographies, le récit chronologique des événements qui entourent le génocide, de 1884 à 1926.
A la frontière entre le récit historique et l’enquête journalistique, l’auteur y donne également son point de vue personnel en assumant sa "liberté d’écrivain" : "Ce fut une enquête longue et éprouvante, nous confie-t-elle. Pendant plus de 3 ans, j’ai interrogé des historiens, une journaliste namibienne basée à Paris tout en retrouvant de nombreuses informations en ligne, à l'aide d'archives, et d'extraits de travaux d'historiens sud-africains. Je dirais qu’il s’agit à la fois d’un travail de romancier, d’historien et de journaliste."
La Namibie, antichambre de la Shoah
A la fin de son récit, Elise Fontenaille-N’Diaye livre quelques extraits du fameux "Blue Book" de Thomas O’Reilly, traduit pour la première fois en français. Plusieurs témoignages d’une rare violence qui donnent une triste idée des pratiques des colons allemands.
Déportation, camps de concentration, extermination… Le vocabulaire employé comporte de troublantes similitudes avec une autre sombre page de l’Histoire : "Le fait que plusieurs médecins allemands, tel Eugen Fischer, [son ouvrage Fondements sur l’hérédité humaine et principes d’hygiène raciale fut le livre de chevet d’Hitler en prison et sa principale source d’inspiration pour la rédaction de Mein Kampf, ndlr] n’a jamais été inquiété, en dépit du rôle de premier plan qu’il a joué dans l’idéologie nazie en tant que penseur de la haine raciale, m’amène à m’interroger sur la dénazification réelle, et en profondeur, de l’Allemagne, écrit ainsi Elise Fontenaille-N’Diaye.
Le génocide namibien expliqué aux ados
Paru aux éditions Calmann-Levy, Blue Book s’accompagne d’un roman jeunesse intitulé Eben ou les yeux de la nuit (Editions du Rouergue) dans lequel l’auteur se place dans la peau d’un adolescent namibien d’aujourd’hui : "Mon objectif étant de raconter cette histoire au plus grand nombre, j’ai pensé qu’il serait intéressant de s’adresser également à un public adolescent, explique l’auteur. Le récit pour ado est violent, mais il se termine bien. Ma règle d’or est : ne jamais désespérer la jeunesse, même quand j’aborde des sujets sombres. Par leur approche différenciée, le Blue Book et Eben se complètent."
Deux ouvrages pour réhabiliter la mémoire de peuples martyrisés. Deux livres pour redonner vie à un drame trop longtemps occulté. Deux récits pour ne plus oublier. Jamais.
Propos recueillis par Olivier Simon